Ecriture des couleurs chez Eugène Fromentin

Ecriture des couleurs chez Eugène Fromentin

Les couleurs dans "Un été dans le Sahara" d’Eugène Fromentin

Eugène Fromentin (1820-1876) est un peintre et écrivain français, figure majeure de l'orientalisme au XIXe siècle. Né à La Rochelle, il voyage en Algérie qui le fascine et lui inspire ses deux grandes œuvres littéraires : Un été dans le Sahara (1857) et Dominique (1863). Son style, poétique et introspectif, capture les nuances de la lumière et les couleurs si particulières des paysages du Maghreb. Attentif aux hommes, à leur culture et à la vérité des paysages, il parvient, le plus souvent, à éviter les stéréotypes exotiques de son époque.
 
Le projet de Fromentin est clair :
« Je voudrais rendre sensibles les choses que je vois et, pour ainsi dire, les faire revivre à l'esprit comme aux yeux de ceux qui les ignorent ». 

Mais, peut-on faire voir une couleur à celui qui ne l’ a pas sous les yeux?

Voici des exemples de cette recherche d'évocation des paysages et des hommes par la couleur : 

Un village : « Blanc, veiné de brun, veiné de lilas et qui semble taillé dans un bloc de porphyre ou d'agate tant il est richement marbré de couleurs, depuis la lie de vin jusqu'au rouge sang. »

La petite cité nomade en déménagement: « Un assemblage de toutes les couleurs : du damas citron, rayé de satin noir, avec des arabesques d'or sur fond noir, et des fleurs d'argent sur le fond citron ; une touche en soie écarlate traversé de deux bandes de couleur olive ; l'orange tendre avec des verts froids ; puis des coussins mi-partie cerise et émeraude, des tapis de haute laine et de couleur plus grave, cramoisis, pourpres et grenats. »
Ici, la couleur résume la chose et permet la construction de paysages vus de loin et de ressentir le temps de l’observation, elle fonctionne comme un instrument d’optique, construit la perspective, elle dynamise la description, car elle s'inscrit dans une perspective temporelle. Il s’agit d’un usage impressionniste des couleurs dont la succession donne 'impression d’une progression narrative.

Fromentin voit « filer sur les longues perspectives les burnous blancs, les croupes luisantes, les selles à dossier rouge ». 

« Il n'y a que le Dar Sfah qui soit blanc et l'ancien bain de Ben Salem qui soit peint. Le reste est gris, d'un gris qui, le matin, devient rose ; à midi, violet ; et, le soir, orangé. »

Inventivité dans l’évocation des nuances: couleur « d'un petit jonc » ou « de cendre chaude ». La vallée du Chéliff : « ni rouge, ni tout à fait jaune, ni bistré(e), mais exactement couleur de peau de lion ». 

 Fromentin décrit des chevaux aux marges du rationnel, presque surréels :
« Les blancs étaient couleur de neige et les alezans couleur d'or fin. D'autres, d'un gris foncé, sous le lustre de la sueur, devenaient exactement violets ; d'autres encore [...] auraient pu audacieusement s'appeler des chevaux roses. »

« J'ai commencé par voir tout bleu, puis j'ai vu trouble ; au bout de cinq minutes, je ne voyais plus rien du tout. Le désert était extraordinaire. »

Un rapprochement avec l'écriture de la couleur chez les surréalistes est légitime : l'on retrouvera la couleur « d'or vert » chez Boris Vian ! 

 

 

 

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